Garantir le "droit à la ville" pour tous

La distance à l'art et à la culture tout comme le délabrement du cadre de vie sont un fléau pour l'épanouissement personnel. En plus de mesures de correction du système des logements à loyer modérés qui pénalise les ménages les plus pauvres, la France doit s'essayer à un appel à projet sans précédent pour associer les habitants des quartiers à la revivification de leurs territoires.

Le logement est un enjeu de civilisation

72 % des habitants des zones concernées considèrent que la rénovation urbaine n’a pas changé leurs conditions de vie alors que 50 milliards d'euros ont été investis en 10 ans dans 600 quartiers. C’est que la distance à l’art et à la culture est un fléau tout comme le délabrement du cadre de vie.

 

Edgar Pisani écrivait que le logement est « le problème politique le plus significatif qui soit, car nos pratiques foncières fondent notre civilisation et notre système de pouvoir. » Or la concentration spatiale des inégalités c’est aussi et surtout la conséquence du marché de l’immobilier locatif qui offre proportionnellement moins de solutions aux groupes sociaux les moins intégrés sur le marché du travail. Entre le début des années 1980 et la fin des années 1990, le revenu des foyers fiscaux a chuté de 15 % à La Courneuve (Seine-Saint--Denis) ou à Grigny (Essonne, où se trouve le tristement célèbre quartier de la « Grande Borne » qui a fait l’actualité à l’été 2016), alors qu’il a augmenté de 7 % dans les communes les moins défavorisées de la région Ile-de-France.

 

Un système qui pénalise les plus pauvres

Au niveau national, 40 milliards d’euros sont dépensés pour une politique illisible et dont les objectifs sont difficilement atteignables, avec une partie qui fonctionne, l’autre non. C’est une gabegie car on accélère et on freine en même temps. Il y a une double contradiction entre d’un côté la sécurisation de l’accès à la propriété avec des autorités publiques prudentes pour éviter les bulles immobilières, et de l’autre l’objectif de création de 500 000 nouveaux logements par an au niveau national, rythme que la « province » et les territoires au marché détendu ne peuvent pas suivre. La partie la plus efficace des moyens publics, qui est dans la droite ligne des principes du modèle social français selon moi, ce sont les mesures destinées à développer le locatif privé et les aides diverses au logement pour les ménages les plus pauvres qui comptent pour près de 20 milliards d’euros.

La ségrégation urbaine atteint son niveau maximal quand il existe des poches de logements sociaux auxquels les ménages les plus pauvres ne peuvent pas prétendre, et qu’ils sont cantonnés aux territoires les plus sinistrés. Les logements sociaux les plus récents sont à sept euros le mètre carré. Les plus anciens, qui datent des années soixante-dix, à cinq euros le mètre carré. Ceux financés par des prêts locatifs sociaux oscillent autour de douze ou treize euros le mètre carré. Or, certaines villes tirent profit des prêts locatifs sociaux pour remplir leur quota de logements sociaux mais sans accueillir les ménages les plus modestes. Résultat : les familles les plus pauvres sont forcées d’accepter de loger dans les immeubles des années soixante-dix, les plus délabrés, les moins solidaires de la ville… C’est ainsi que nous construisons des ghettos urbains. C’est aussi simple et vicieux que cela.

 

Innover pour corriger les inégalités

 

Voici quelques unes des mesures de redressement qui sont détaillées dans mon livre.

 

Les élus locaux doivent pouvoir faire jouer leur pouvoir en matière d’urbanisme. Le ministre du Développement des banlieues doit pouvoir rassembler dans une convention nationale les représentants des collectivités concernées, les bailleurs sociaux et les associations de défense des usagers pour corriger les inefficacités du système. La loi pourrait confier aux communes le rôle de prescription qui revient aux intercommunalités sur les programmes des bailleurs pour associer les projets de construction plans locaux d’urbanisme. L’autre levier serait que les municipalités soient autorisées par la loi à imposer des loyers à prix unique dans les logements sociaux.

 

Aussi, le rôle de l’État est également d’aider la solidarité à changer d’échelle.  Si l’État mobilise un milliard d’euros, il peut cofinancer avec les intercommunalités un fonds de garantie national et territorialisé à hauteur d’un million d’euros pour 1 000 territoires urbains sinistrés. Cela changerait la vie de milliers de familles qui se seraient vu refuser l’accès à un logement de qualité faute de garantie. Cela corrigerait les biais d’offre de logements vétustes des années soixante-dix qui ne trouveraient pas preneur. Cela contribuerait enfin à harmoniser le niveau des prix au mètre carré des logements HLM pour tendre vers un prix unique.

 

Concernant les mobilités, la mise en place d’une régie publique de transports en commun gratuits par voie routière (qui coûte six fois moins cher que le train) doit pouvoir combler le déficit de certaines cités enclavées et excentrées. La continuité territoriale, c’est aussi cela, des mesures simples, comme des navettes de transports collectifs pour ceux qui auraient dû renoncer à un entretien d’embauche ou à un emploi. Le temps de percevoir les premiers salaires.

 

Enfin, et c'est là la mesure la plus concrète pour réintroduire une dynamique de vitalité dans les quartiers prioritaires de la Politique de la ville en faisant participer les habitants à ces chantier : des appels à projets nationaux pourraient être lancés sur la base de 1 000 territoires prioritaires. Avec un budget d’un million d’euros par territoire, soit 1 milliard d’euro au total. Les domaines visés sont la culture, les sports, les arts, l’économie sociale et solidaire, l’environnement, l’urbanisme, l’éducation populaire…